Suicide de Manon, aide-soignante : un nouveau drame en Occitanie

Burn out, dépression, tentative de suicide, suicide… les soignants sont nombreux à se sentir mal, très mal ! Rien ne semble aller dans le bon sens, avec de nombreux suicides ces derniers mois sans aucune réaction des pouvoirs publics. Dans le cadre d’un documentaire sur la santé mentale des soignants en cours de réalisation par le magazine Sénevé, ce vendredi 16 mai, une équipe d’un EHPAD occitan, tire la sonnette d’alarme après le suicide de Manon, une jeune collègue aide-soignante fraichement diplômée. Ses collègues et sa maman expriment leur colère et leur profonde tristesse, à la Rédaction.

C’est un nouveau drame pour les soignants d’un EHPAD d’Occitanie, situé dans les Hautes Pyrénées. Manon, une jeune aide-soignante de 29 ans qui avait toute la vie devant elle, s’est donné la mort le 29 avril 2025, à bout de forces. Pour Brigitte, la maman de Manon, « C’est cet établissement qui l’a foutu en l’air. On est tous sous le choc ! » déclare-t-elle. Selon elle, toujours souriante, Manon incarnait la joie de vivre et aimait les gens et la vie. « Manon aimait son travail et elle a toujours été volontaire pour venir travailler sur ses jours de repos lorsqu’il manquait quelqu’un. » ajoute Brigitte. Pourtant, mi-janvier, sa fille est tombée en dépression à cause de son lieu de travail. Manon lui parlait de la maltraitance dont elle était témoin au sein de l’établissement pour personnes âgées et des mauvaises conditions de travail auxquelles elle et ses collègues étaient confrontées tous les jours.

« Elle me disait, Maman, ce travail ne me représente pas ! Elle se plaignait du manque de moyens pour faire correctement les soins des résidents. Quand elle rentrait à la maison, elle avait l’impression de ne pas avoir accompli correctement son travail. Elle se sentait impuissante et surtout, harcelée par le directeur. » nous détaille Brigitte.

A cela s’est ajouté des retards de salaires qui ont mis Manon en très grande précarité : « Elle venait souvent me voir pour me demander de lui faire des virements parce qu’elle n’avait rien à manger. Elle était à la limite de faire les poubelles pour se nourrir ! Elle n’a pas eu de salaire au mois de février et elle a été plusieurs fois au bureau du directeur pour le supplier d’avoir un acompte sur salaire qui a été versé seulement au mois de mars ! » explique sa mère, pour qui, le cauchemar de sa fille ne s’est pas arrêté là, puisque depuis le 12 mars, Manon était en arrêt de travail et n’avait pas perçue ses indemnités journalières à temps malgré ses multiples appels au directeur et à la RH, et ceux de la Caisse d’Assurance Maladie, pour qu’il fasse le nécessaire en urgence. Les feuilles de salaires n’ont été envoyées à la CPAM que le 29 avril, jour du décès de Manon… » nous confie sa maman en pleurs.

Manon est également décrite par ses collègues, comme étant une aide-soignante exemplaire, bienveillante, qui aimait son travail et qui n’hésitait pas à dénoncer ses conditions de travail. Toutes s’accordent à dire qu’elle a dû faire un choix « entre mettre de l'essence dans sa voiture pour un travail non rémunéré ou garder de l'argent pour pouvoir manger… ». Un choix qu’aucun soignant, ni personne ne devrait avoir à faire.

« Nous avons perdu une collègue aide-soignante. Elle s’est pendue car cela faisait deux mois qu’elle vivait sans rémunération. Elle s'est retrouvée tellement en difficulté qu’elle n'a trouvé que cette issue. » alerte Marie, une de ses collègues. Selon elle, le siège du groupe, lui donnait sans cesse des excuses pour le non-paiement de son salaire. « Si elle n'avait pas été payée, selon la RH, c'est qu'il y avait un manque de personnel dans les bureaux. A l'annonce de ce drame, il y a une réunion extraordinaire sur la structure et c'est à cette occasion que la RH a sorti cette excuse ! » continue Marie.  

Une version confirmée par deux autres collègues de l’EHPAD, pour qui, s’en est trop. « Il n’y aura ni pardon, ni oubli ! » scande Emma, qui nous explique, avoir formé Manon. « Avec mon binôme, sa tutrice, on l’a formée pour devenir AS et on l’a poussée à revenir bosser chez nous » précise-t-elle. Quant à la tutrice de Manon, Amélie, elle nous raconte avec beaucoup d’émotions avoir accompagné la jeune femme durant sa formation. « Elle est arrivée dans notre petit EHPAD en stage. J'ai été sa tutrice. J'ai pu l'accompagner durant sa formation. C’était "ma petite », ma première. » Amélie, nous raconte également avoir dû démissionner en fin d’année dernière suite aux conditions de travail difficiles au sein de l’établissement.

Les conditions de travail étaient infernales et plusieurs soignants n’étaient pas payés à temps par l’établissement.  « J'ai moi-même démissionné au mois de décembre. Je n'arrivais plus à supporter les représailles de mon directeur, les coups fourrés de ma cadre à qui j'ai eu une confiance aveugle, lui confiant parfois mon mal être face à mon travail, que j'aime plus que tout et les conditions dans lesquelles je devais l’effectuer. Elle ne s'est pas privée de s'en servir contre moi me menaçant même que je ne retrouverais pas de travail si je partais. » détaille Amélie, qui poursuit en disant que « La cadre n'a pas hésité à envoyer un e-mail à tous les soignants de l’établissement pour dénoncer son départ… On m’a retenu 60h sur mon solde de tout compte. Malgré mes e-mails, je n'ai jamais eu la preuve de ses heures et je n'ai jamais eu de réponse. Ayant deux enfants à charge un crédit immobilier je n'ai pas couru le risque de me retrouver sans travail et je n'ai donc pas insisté, en me disant tanpis, c’est comme ça ! ».

Aujourd’hui, pourtant, Amélie, regrette de ne pas s’être battue pour toutes ces heures impayées.  « Peut-être que ma collègue n’aurait pas eu à subir cette injustice et serai encore parmi nous aujourd’hui » dit-elle. A ce jour, la structure nie toute responsabilité dans le suicide de Manon, et lorsque sa mère est venue annoncer la terrible nouvelle, la direction lui a répondu que « sa fille ne faisait plus partie de l'effectif de l’établissement… » termine Amélie, le cœur lourd.

Afin de protéger les témoins, les prénoms des soignants ont été changé, sauf celui de Manon. Tous ensemble pour Manon, avec le #JusticepourManon et pour les soignants présents et futurs et pour les patients.

Des propos recueillis par Corinne Pauline Nkondjock, infirmière et journaliste médicale, dans le cadre du documentaire sur la Santé Mentale des Soignants en cours de réalisation par Sénevé Mag, le magazine collaboratif en santé.