IA en santé, jeu d’équilibre entre primum non nocere et move fast and break things

Longtemps perçue comme un sujet technophile, l’intelligence artificielle s’impose désormais comme un enjeu central pour l’avenir de la santé. Ingénieur passionné d’informatique depuis ses 12 ans, Thomas Klein est aujourd’hui, Directeur stratégique chez Microsoft USA et auteur de L’IA au service de la santé. Il nous partage son parcours et les raisons qui ont motivées l’écriture de ce livre.

Si Thomas Klein a écrit ce livre, c’est aussi pour combler le fossé entre deux cultures, « d’abord, ne pas nuire » avec la médecine, versus « move fast and break things » pour la tech. Selon lui, deux temporalités différentes, mais deux univers qui ont absolument besoin l’un de l’autre. Thomas Klein refuse autant l’utopie naïve que la dystopie alarmiste. Son positionnement est clair : « Ni utopie, ni dystopie : une approche réaliste, constructive et humaine. » Ainsi, la raison d’être de ce livre est claire : « On est vraiment à une étape charnière. On arrive à un niveau de maturité, d’accessibilité et de fiabilité qu’on n’a jamais eu auparavant. » Les chiffres parlent d’eux-mêmes, notamment en imagerie colorectale, il évoque des taux de détection dépassant les 94 % ; dans d’autres domaines, les performances atteignent également des seuils inédits. Cette montée en puissance ouvre un champ des possibles immense mais à condition que le grand public et les professionnels comprennent ce que l’IA peut et ne peut pas faire. « Il faut rendre les choses intelligibles, sans jargon technique, pour élever le niveau de compréhension collective. C’est la première étape pour que l’IA soit utilisée. »

Les médecins entre enthousiasme et impatience

Contrairement aux idées reçues, la résistance des soignants n’est plus la norme. Thomas Klein observe plutôt une dynamique inverse, portée par une forte motivation : « J’ai rencontré une énorme curiosité, une vraie appétence… et même de l’impatience ! » En France comme aux États-Unis, l’envie de se saisir de l’IA est bien réelle. Les professionnels voient ce que la technologie pourrait améliorer : détection plus précoce, allègement de certaines tâches cognitives, réduction des erreurs, anticipation de complications, meilleure coordination du parcours patient.

La frustration vient davantage du décalage entre le potentiel technique et la réalité du terrain : manque d’outils déployés, contraintes réglementaires, difficultés d’intégration ou d’interopérabilité.
Un fossé que l’auteur espère contribuer à combler en créant un langage commun entre soignants et ingénieurs.

L’IA, une « deuxième paire d’yeux » plutôt qu’un remplaçant

« L’IA ne va pas remplacer les médecins. » Comme chaque révolution médicale majeure, au même titre que les vaccins, les antibiotiques, l’imagerie, ou encore la robotique, l’IA augmente les capacités humaines au lieu de les substituer.

Ce qui rend l’IA singulière, explique-t-il, c’est qu’elle touche tous les métiers de la santé, elle intervient directement dans le raisonnement médical et questionne la relation soignant–patient Finalement, « L’IA, c’est une deuxième paire d’yeux qui ne fatigue jamais et qui a la capacité de tout lire ». Elle ne prétend pas décider seule, mais elle éclaire en comparant des milliers de cas, en signalant des anomalies invisibles à l’œil humain, ou bien, en suggérant des pistes diagnostiques. Le médecin reste le décideur. D’ailleurs, la puissance de l’IA s’exprime particulièrement dans le suivi des maladies chroniques. L’exemple le plus frappant évoqué par Thomas Klein concerne l’infarctus : « On peut prédire une crise cardiaque plusieurs heures avant qu’elle ne survienne, simplement en analysant des données physiologiques continues. » Dans un contexte médical d’urgence, l’IA réécrit totalement le scénario de la prise en charge. L’alerte peut être adressée au patient, à son entourage, à son médecin ou aux secours avant même que le symptôme n’existe.

Néanmoins, cette logique préventive n’est pas sans poser des questions : faut-il tout savoir, tout anticiper, tout dépister ? Là encore, Thomas Klein nuance : « Le médecin doit avoir un maximum d’informations. Ensuite, c’est son jugement clinique qui décide d’agir ou de surveiller. » Loin du fantasme d’une médecine automatisée, l’IA renforce en réalité la responsabilité humaine. « L’IA ne sera jamais le super-médecin magique. Mais elle peut apporter quelque chose là où il n’y a rien. » argument Thomas Klein.

L’ingénieur évoque les travaux de Pr Vikram, Professeur de Harvard, d’origine indienne, faisant état d’une faible densité de psychiatres et où l’IA devient un premier relais. Sur le territoire Français aussi, et notamment, dans les déserts médicaux, l’intelligence artificielle peut devenir un soutien clé au dépistage, au triage ou à l’orientation.

L’IA au service de la santé s’adresse à tous les curieux : aux médecins, aux infirmiers, aux passionnés de tech, mais aussi à tous les citoyens. Car, rappelle-t-il, « la médecine de demain sera participative » : chacun devra pouvoir comprendre les outils qui participent à sa santé.

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Rédigé par Corinne Pauline

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